Le Haut-Canada est le prédécesseur de l’actuel Ontario moderne. Il naît en 1791 de la division de l’ancienne province de Québec en Bas-Canada à l’est et Haut-Canada à l’ouest. Le Haut-Canada était une étendue sauvage colonisée majoritairement par des loyalistes et des fermiers avides de terres émigrant vers le nord en provenance des États-Unis. Le Haut-Canada doit tour à tour endurer la guerre de 1812 contre les États-Unis, la rébellion de 1837 de William Lyon Mackenzie, l’administration coloniale du Family Compact et un demi-siècle de difficultés économiques et politiques croissantes. Dans le cadre de l’Acte d’Union en 1841, il est rebaptisé le Canada-Ouest et est réuni avec le Bas-Canada (Canada-Est) pour devenir la Province du Canada.
Historique : Premières Nations, France et guerre
La région qui correspond au Haut-Canada est peuplée à l’origine par des peuples des Premières Nations et en particulier les Wendats, les Neutres, les Tionontati (Pétuns) et les Algonquins parmi tant d’autres. (Voir aussi Premières Nations en Ontario.) Samuel de Champlain l’a parcourue au début du 17e siècle. Il a revendiqué le territoire au nom de la France, comme d’autres explorateurs français l’ont fait après lui. Les missionnaires y ont été particulièrement actifs, surtout en Huronie, à l’est et au sud de la baie Georgienne. (Voir aussi Sainte-Marie-des-Hurons.) Les Français s’y sont établis fermement dès le 18e siècle, attirés par la traite des fourrures. L’établissement permanent d’une colonie européenne est rare, même si les bases des futures villes de Toronto, Windsor, Niagara Falls et Kingston ont déjà été établies.
Pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), les Français cèdent la majeure partie de la région aux Britanniques. Avec la capitulation de Montréal, en septembre 1760, la Grande-Bretagne prend réellement possession du territoire qui devient plus tard le Haut-Canada. À la suite du traité de Paris (1763) et de la Proclamation royale plus tard cette année-là, les frontières de la nouvelle province de Québec de la Grande-Bretagne sont étendues.
Dans le cadre de l’Acte de Québec de 1774, les frontières se déplacent vers l’ouest dans ce qui est maintenant le sud de l’Ontario, vers le nord pour inclure tout le Labrador, et vers le sud jusqu’à la vallée de l’Ohio. Au début de la guerre de l’Indépendance américaine en 1775, la population permanente européenne de l’ouest du Québec n’est composée principalement que de francophones établis aux environs de Détroit, mais, à la fin de la Révolution américaine en 1783, les quelques loyalistes qui ont trouvé refuge au Canada pendant la guerre sont maintenant légion. Environ 7500 réfugiés sèment le germe d’une politique centrée sur la Grande-Bretagne qui aura une influence décisive sur l’avenir du Haut-Canada. (Voir aussi Loyalistes noirs en Amérique du Nord britannique.)
L’établissement par les loyalistes
Les terres colonisées par les loyalistes et les autres colons européens sont le territoire traditionnel des peuples autochtones. En vertu des cessions de terres du Haut-Canada, des terres autochtones sont obtenues par le gouvernement colonial à des fins de colonisation et de développement. Ces traités couvrent une grande partie de ce qui est aujourd’hui le sud-ouest de l’Ontario. Au milieu des années 1830, les traités couvrent la plupart des terres arables du Haut-Canada. Au moment de la Confédération en 1867, presque tout l’Ontario est assujetti à un traité. (Voir aussi Traités avec les peuples autochtones au Canada.)
Le gouverneur, sir Frederick Haldimand, s’occupe d’installer des colonies de loyalistes. Il dispose tout le long de la frontière américaine des milices dans des municipalités aux limites rapidement tracées. En cas de guerre, les anciens combattants doivent former une barrière défensive. Trois régions principales sont choisies : le long du Saint-Laurent, aux environs de Kingston et de la baie de Quinte, et la région de la péninsule du Niagara. Une quatrième, près de Détroit, est envisagée, mais comme elle doit être remise aux Américains, son peuplement s’en trouve retardé.
Après l’exécution rapide des levés, les terres sont concédées par lots, les chefs de famille recevant 100 acres, les membres additionnels de la famille 50 acres en plus, et les officiers supérieurs jusqu’à 1 000 acres (et plus tard bien plus que cela). Vêtements, outils et vivres sont fournis pendant trois ans. De telles conditions favorisent l’immigration des loyalistes dont beaucoup s’en tirent bien. Nombre d’Américains finissent par migrer vers le nord pour les rejoindre, certains par dépit, d’autres simplement par « avidité de la terre ». En 1790, la population de l’ouest du Québec compte environ 10 000 colons.
Les loyalistes immigrés au Haut-Canada, pour la plupart des pionniers américains, sont en mesure de faire face aux rigueurs des nouveaux établissements, mais ils ne manifestent guère de souplesse sur le plan politique. Un grand nombre d’entre eux a été au premier rang des protestations politiques dans les anciennes colonies. Bien qu’ils ne sont pas prêts à prendre les armes pour les droits coloniaux, ils ont l’intention d’utiliser tout moyen légal et constitutionnel à leur disposition pour améliorer leur sort. Parmi leurs préoccupations, on compte une demande d’un gouvernement plus représentatif, ainsi que des lois et des institutions qui reflètent leur héritage britannique, et pas celles de la France. Ce sont leurs revendications constitutionnelles qui poussent la Grande-Bretagne à modifier, en 1791, l’Acte de Québec de 1774.
Création d’une nouvelle colonie
Il en résulte l’Acte constitutionnel de 1791. Ce dernier divise la Province de Québec en deux : le Bas-Canada vers l’est (dans les parties situées en aval du fleuve Saint-Laurent) et le Haut-Canada (le long de la frontière actuelle entre l’Ontario et le Québec) vers l’ouest. L’Acte institue également un gouvernement qui déterminera en grande partie la forme politique de la colonie. Il influe aussi fortement sur son fonctionnement social et économique.
L’Acte est, en grande partie, de la part des Britanniques, une réponse sans équivoque à la guerre de l’Indépendance américaine. Selon la vision du gouvernement britannique, la démocratie excessive qui règne dans les colonies américaines serait interdite dans les deux nouvelles provinces du Haut et du Bas-Canada. Pour chaque province, on désigne un lieutenant-gouverneur, assisté d’un conseil exécutif, d’un conseil législatif qui agit comme chambre haute et d’une assemblée représentative. La politique relève du Conseil exécutif qui rend compte de son administration à la Couronne et non à l’Assemblée élue.
On attend de l’Église d’Angleterre qu’elle renforce les liens entre les colonies et la Grande-Bretagne. Dans le Haut-Canada, afin d’assurer « l’entretien et le soutien d’un clergé protestant », chaque septième de toute terre de la province est attribué aux réserves du clergé. Les revenus provenant de la vente ou de la location de ces propriétés vont à l’église. La Grande-Bretagne, plus tard, établit les réserves de la Couronne, les revenus tirés d’un autre septième de chaque lot. Ceux-ci servent à couvrir les coûts de l’administration provinciale.
La propriété de la terre, sujet qui préoccupe la plupart des colons, est désormais basée sur la tenure franche en usage en Grande-Bretagne. Le régime seigneurial en vigueur dans le Bas-Canada est définitivement banni au Haut-Canada. En outre, ceux qui ont le droit d’élire et d’être élus sont assez nombreux. L’Assemblée au Haut-Canada ne compte pas moins de 16 membres, tandis que le Conseil législatif en totalise au moins sept.
Le premier lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe prend les commandes
Le premier leader de cette nouvelle société est le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe. Il rêve pour cette nouvelle société « d’une forme de gouvernement supérieure, davantage souhaitable et raffinée ». Il souhaite non seulement y attirer les immigrants, mais aussi restaurer l’Empire et ramener les Américains dans le camp britannique. Les premières institutions gouvernementales sont établies à Newark (maintenant Niagara-on-the-Lake) d’abord, puis à York (maintenant Toronto), la nouvelle capitale. Simcoe fait construire des routes par l’armée, crée des conseils pour la répartition des terres, établit l’organisation judiciaire, réalise des percées dans le but d’abolir l’esclavage en 1793 (une Loi pour prévenir l’introduction additionnelle d’esclaves et limiter les clauses des contrats de statuts de servitude du Haut-Canada) et s’attache à promouvoir l’anglicanisme.
À son départ de la province en 1796 pour cause de maladie, Simcoe peut être fier de ses réalisations, bien qu’il n’ait convaincu ni les Américains de renoncer au républicanisme ni la Grande-Bretagne de convertir le Haut-Canada en un centre militaire. Aux yeux des Britanniques, le Canada correspond encore au Québec, et le projet de Simcoe pour la défense d’une frontière située au-delà des voies maritimes semble peu réaliste.
Le Haut-Canada ne prospère pas sous les mandats des successeurs du lieutenant-gouverneur Simcoe. Durant les années entre son départ et la guerre de 1812, la province reste largement une région éloignée de colonies isolées, mais croissantes, et le territoire, seule source véritable de prospérité, est trop souvent morcelé en grandes parcelles avec insouciance par des administrateurs laxistes.
Prise de pouvoir par le Family Compact
L’histoire politique du Haut-Canada n’en est qu’à ses débuts. L’Acte constitutionnel de 1791 a naturellement engendré un parti de favoris. Les lieutenants-gouverneurs forment leurs conseils exécutif et législatif avec des hommes en qui ils ont confiance et qui partagent leurs inébranlables valeurs conservatrices : à savoir les loyalistes et les Britanniques nouvellement arrivés. Ces hommes (qu’on appellera plus tard le Family Compact) deviennent une sorte de club conservateur ou faction tory au pouvoir de façon permanente. Ils ne peuvent concevoir aucune autre loyauté à la Couronne que la leur. Lorsqu’il y a de l’opposition, comme c’est souvent le cas pour les questions liées aux finances, ceux qui prônent un élargissement des pouvoirs de l’Assemblée législative obtiennent du soutien. Cependant, ils font face à une sévère opposition du Compact, qui les menacent parfois ou les accusent de sédition. L’influence des hommes honnêtes qui critiquent ouvertement le gouvernement, tels Robert Thorpe, Joseph Willcocks et William Weekes, est balayée par la guerre de 1812.
Guerre de 1812
Au cours de la guerre de 1812, le Haut-Canada, dont la plupart des habitants sont de souche américaine, est envahi plusieurs fois et en partie occupé. Les troupes américaines sont repoussées par des soldats britanniques et la milice canadienne ainsi que des groupes autochtones. (Voir aussi Participation des Premières Nations et des Métis à la guerre de 1812.) La guerre raffermit les liens du Canada avec la Grande-Bretagne, fait du loyalisme un principe sacré, façonne des héros et des martyrs tels sir Isaac Brock et Tecumseh, et semble légitimer le statu quo politique.
La guerre met un terme à l’isolement du Haut-Canada. Le gouvernement ne fait rien pour favoriser l’immigration des Américains, mais le Haut-Canada accueille un plus grand nombre de Britanniques, certains disposant de capitaux à investir. L’économie dépend toujours des politiques d’échanges commerciaux dans les colonies et du mercantilisme de la Grande-Bretagne. La culture du blé devient très importante pour les agriculteurs du Haut-Canada. Pourtant, la guerre a été très coûteuse et la province manque de capitaux. Par exemple, la Welland Canal Co., spécialisée dans les travaux publics, doit ainsi se tourner vers l’étranger pour trouver des investisseurs. (Voir aussi Canal Welland.)
Tourmente économique
La dépense liée à l’administration de la colonie croissante augmente considérablement au début des années 1820, et des projets de réunion des deux Canada sont envisagés occasionnellement. En 1822, des efforts sont faits pour ajuster les droits de douane partagés avec le Bas-Canada afin de fournir à la haute province, qui n’a pas de port océanique, une partie plus grande du revenu. En pratique, ces efforts n’ont pas vraiment porté leurs fruits.
Les revenus, cependant, demeurent insuffisants, et la province est endettée. Elle est incapable de payer les intérêts sur ses obligations, déjà mal accueillies, sans faire de nouveaux emprunts. La création de la Banque du Haut-Canada (1821) et d’autres banques n’entraîne pas la stabilité financière escomptée. L’apport de capitaux de la Canada Company, société importante de colonisation britannique, n’aide pas non plus. En réalité, les sommes versées au gouvernement par cette compagnie servent à rémunérer les fonctionnaires (la liste civile), nuisant ainsi au projet de la Chambre d’assemblée qui souhaite avoir la main haute sur le budget.
La guerre de 1812 a permis au Family Compact dirigé par l’archidiacre anglican John Strachan (plus tard évêque de Toronto) de consolider son contrôle politique, parfois de façon corrompue. Il y a des preuves de nomination à des postes officiels et à des banques émergentes pour de raisons de favoritisme politique, et d’octroi préférentiel de terres. Le groupe est rigoureux et méthodique dans son administration, mais pas toujours fiable dans sa gestion financière. Il a un sentiment fort de devoir envers le développement comme le prouve son appui inconditionnel à des travaux publics comme le canal Welland. Mais une oligarchie constitue de plus en plus un anachronisme à une époque où la démocratie est en vogue.
Rébellion de 1837
En 1820, l’opposition au régime se complexifie, quoique sa politique ne s’organise pas encore autour de partis disciplinés. Certains agitateurs, comme Robert Gourlay, le « banni britannique », expriment les doléances du peuple en les dramatisant. Jusqu’au milieu des années 1830, l’opposition est généralement menée par des hommes politiques plus modérés, dont le Dr William Baldwin, Robert Baldwin et le révérend Egerton Ryerson.
Le réformiste William Lyon Mackenzie souhaite que le Haut-Canada soit une démocratie républicaine du type de celle des États-Unis. Il souhaite une province composée de fervents patriotes fermiers, prêts à devenir des révolutionnaires américano-britanniques. La rébellion de 1837 menée par Mackenzie cherche à s’emparer du pouvoir alors entre les mains du Family Compact et de ses partisans au sein de l’église. Cela est un échec, car, comme bon nombre des politiciens qui lui ont succédé, Mackenzie n’a pas compris les fondements de l’opinion politique modérée du peuple du Haut-Canada.
L’attitude violente de Mackenzie et son insurrection mal appuyée se révèlent inutiles. Des réformes démocratiques progressives sont déjà en cours dans la colonie et en Grande-Bretagne. Les points faibles de l’Acte constitutionnel, 1791, comme ses structures coloniales rigides sont maintenant évidents. Pour le Haut-Canada, un réel changement politique ne peut venir que de l’Angleterre, même si les réformistes peuvent en accélérer le cours au pays même.
Les recommandations de lord Durham, en 1838, entraînent quelques changements immédiats. À titre de gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique, il ne passe que quelques jours au Haut-Canada. Il visite toutefois brièvement Toronto et accorde une entrevue à Robert Baldwin. Il est aussi judicieusement conseillé par ses adjoints, en particulier Charles Buller. Tous ces détails sont consignés dans son célèbre rapport. (Voir aussi Rapport Durham.)
Union avec le Bas-Canada
Le rapport de Durham et ses recommandations mettent en branle un projet qui mûrissait depuis longtemps : l’union du Haut et du Bas-Canada. En 1838, la population diversifiée du Haut-Canada dépasse les 400 000 habitants. Elle s’étend de l’ouest de la rivière des Outaouais jusqu’à la tête des Grands Lacs. La colonie, encore à l’état d’ébauche, ne possède que peu d’écoles, d’hôpitaux et d’administrations locales. Durham, défendant les intérêts impériaux, soutient que l’union des provinces noierait les Français du Bas-Canada dans la mer anglophone. Fait plus important encore, le potentiel économique des deux colonies s’accroîtrait, allégeant ainsi le fardeau qu’elles constituent pour la Grande-Bretagne.
Durham maintient que tout se concrétiserait aisément sous un gouvernement responsable. Le Cabinet (ou le Conseil exécutif, comme on l’appelle alors) serait responsable et devrait rendre des comptes devant l’Assemblée élue et non devant la Couronne et le lieutenant-gouverneur. Un tel gouvernement pourrait conjurer les erreurs de l’Acte constitutionnel de 1791 et esquiver les critiques sans craindre de nouveaux soulèvements. La Grande-Bretagne approuve l’union, mais n’accorde la responsabilité au gouvernement que quelque dix ans plus tard.
L’histoire du Haut-Canada prend fin le 10 février 1841. La colonie est unie au Bas-Canada largement francophone pour former la toute nouvelle Province du Canada. (Voir aussi Acte d’Union.) Malgré son histoire tourmentée, le peuple du Haut-Canada peut prétendre avoir eu un passé commun. Compte tenu des perspectives liées à une population qui croît rapidement, à une meilleure démocratie et à des débouchés agricoles qui s’améliorent, ils peuvent envisager également un meilleur avenir collectif.